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mercredi 6 mars 2013

Une construction européenne kafkaïenne !


LE MONDE | 06.03.2013 à 16h13
Par André Grjebine, directeur de recherches au Centre d'études et de
recherches internationales de Sciences Po
Comment expliquer qu'après avoir promis la croissance et le bien-être pour
tous, l'Union européenne (UE) soit devenue cette union d'Etats dont les
gouvernements désemparés s'avèrent incapables de faire face à la crise ?
Comment est-on passé de Keynes à Kafka ?
C'est là que vient à l'esprit une question qu'on ose à peine formuler : aussi
habile, aussi nécessaire même qu'il ait pu paraître, la mise entre parenthèses
du politique n'est-elle pas le ver dans le fruit qui a pourri la construction
européenne ? Elle a soumis la communauté en formation à une loi sociologique
qui veut que les structures bureaucratiques n'aient pour fin que leur propre
expansion, à la fois en élargissant sans cesse leur sphère d'action et en
accaparant toujours plus de pouvoir dans un nombre toujours plus grand de
domaines de compétence.
La règle s'est ainsi imposée selon laquelle devait être considéré comme bon
tout ce qui allait dans le sens de l'intégration et du consensus, mauvais tout ce
qui allait en sens contraire. L'objectif est devenu d'éliminer à tout prix les
conflits, en oubliant que la démocratie se nourrit des conflits. Il est vrai que dans
ce système les gouvernements démocratiquement élus sont perçus comme des
institutions démagogiques, pour ne pas dire des empêcheurs de tourner en
rond.
L'indépendance des banques centrales, et singulièrement de la Banque centrale
européenne (BCE), est devenue le symbole de ce dessaisissement des Etats.
Ce n'était qu'un premier pas. Une étrange constellation s'est constituée,
composée d'innombrables institutions communautaires non élues et de
gouvernements nationaux. Ces derniers n'ont pas été à proprement parler
dépossédés de leur pouvoir, mais ils ne peuvent l'exercer qu'à condition de
suivre les normes qui leur sont imposées de l'extérieur. Cet extérieur n'est pas
un pouvoir central, ni même un quelconque autocrate, mais une entité aux
visages multiples, sans nom et sans contours précis, qui ne tire sa puissance
que du mouvement d'expansion qui, une fois impulsé, échappe à tout contrôle.
En mettant en oeuvre une politique de relance communautaire, l'UE aurait pu
contrecarrer le discrédit de la politique de la demande, qui à l'échelle nationale
bute sur la contrainte extérieure. La plus grande partie des échanges des pays
européens ont lieu, en effet, entre ces pays. De surcroît, une relance
coordonnée de l'ensemble de la zone euro aurait entraîné une dépréciation de
l'euro, favorable à sa balance commerciale avec le reste du monde. Au lieu de
quoi, sous l'emprise de l'orthodoxie allemande et du libéralisme ambiant, les
règles imposées aux Etats membres n'ont fait que renforcer leur impuissance,
sans que la Communauté en prenne le relais.
Les politiques budgétaires ont été enfermées dans un corset juridique. Dans
une démocratie, les citoyens sont invités, au moment des élections, à se
prononcer sur les résultats obtenus, notamment en matière économique. Dans
l'UE, où seul le Parlement européen est élu, mais avec une audience et des
pouvoirs encore relativement limités, c'est moins l'efficacité de la politique
économique qui est reconnue ou sanctionnée par les citoyens que sa
conformité aux règles de droit qui est jugée par des commissaires, des
commissions ou des juges. La question est alors de savoir si les critères de
Maastricht et d'autres sont respectés et non si la croissance est excessivement
faible et si le chômage augmente. La règle d'or que M Merkel a imposée à
ses partenaires renforce encore ce juridisme.
Le comportement des dirigeants français illustre bien la perversion de la
politique à laquelle peuvent conduire le mélange de règles rigides et l'obsession
du consensus. En général, les hommes d'Etat définissent une stratégie faite
d'avancées et de concessions en fonction des objectifs qu'ils se proposent. Nos
dirigeants, mais ils ne sont pas les seuls, ont adopté la démarche inverse : ils
sont prêts à sacrifier leurs promesses électorales pour se conformer aux
normes qui leur sont imposées. Les concessions ne sont plus pour eux un
moyen de parvenir à leurs fins. C'est de faire toutes les concessions
nécessaires pour parvenir au consensus qui est devenu leur priorité, quelles
qu'en soient les conséquences. Quand, à l'issue du Conseil européen des 7 et 8
février, François Hollande se félicite d'avoir obtenu un compromis, alors qu'il
vient d'accepter une réduction du budget communautaire, c'est-à-dire d'avaliser
que l'UE s'éloigne encore davantage de la perspective d'une politique de
relance, il illustre parfaitement cette inversion des priorités.
Dans tout système qui se veut consensuel, la langue de bois est de règle. Elle
est un moyen privilégié pour juguler les velléités de contestation qui pourraient
déboucher sur des conflits. Parler de croissance quand on met en oeuvre une
politique dont on sait qu'elle va conduire à la stagnation est devenu habituel. De
même, les références permanentes à la convergence sont censées effacer la
divergence des économies européennes que l'on observe pourtant depuis des
années. Enfin, quiconque critique le fonctionnement de l'UE est aussitôt accusé
d'être un antieuropéen primaire.
Dans ce contexte, les élections qui viennent de se dérouler en Italie sont
symptomatiques du désarroi ambiant. Dans un système démocratique, et même
dans une autocratie, le mécontentement populaire peut être dirigé sur une cible
: une majorité que l'on peut espérer remplacer, un dictateur dont on attend qu'il
soit renversé. Dans un système oligarchique comme celui qui prévaut au sein
de l'UE, le pouvoir est suffisamment dilué pour être hors d'atteinte. Il ne reste
pour témoigner de son mécontentement que le rejet et le ricanement. De la
même façon, dans l'URSS, les anecdotes contre le régime étaient le principal
moyen de contestation, un procédé passif et sans risque pour le pouvoir en
place... jusqu'à son enlisement final. C'est ce dont viennent de témoigner les
électeurs italiens, las de cet exécutant appliqué des exigences communautaires
qu'a été Mario Monti. Beppe Grillo serait-il le triste avenir de l'Union européenne
?
André Grjebine, directeur de recherches au Centre d'études et de
recherches internationales de Sciences Po

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